LES COULISSES

Eric Carle : pionnier de la réalité augmentée

La Chenille qui fait des trous, désormais autour de vous !

Si on vous dit « technologie de pointe », qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? Sûrement pas un octogénaire auteur de livres pour enfants, avec une barbe blanche et un petit gilet… Mais ça, c’était sans compter sur l’avancée de la réalité augmentée. Avec l’app en AR dédiée à son grand classique, La Chenille qui fait des trous, Eric Carle est sur le devant de la scène et fait aujourd’hui partie des pionniers dans ce domaine.

« Je n’aurais jamais pu imaginer quelque chose comme ça » dit-il, penché sur son iPad, observant la créature qu’il a créée il y a près de 50 ans, se tortiller sur la table en bois devant lui. « C’est tout de même dingue ! »

Eric peignant une œuvre sur Tyvek en 2011.

Bien qu’il n’ait pas touché à une seule ligne de code (c’est le développeur StoryToys, basé à Dublin, qui s’en est chargé), chaque illustration de l’app a été réalisée par Eric : du corps dodu de la chenille, aux pommes d’un rouge brillant en passant par les arbres. StoryToys a d’abord numérisé ses illustrations et a laissé ensuite la magie du digital opérer pour créer des effets d’ombre subtils et un graphisme raffiné.

Comme d’autres apps en réalité augmentée, Ma Chenille AR utilise la caméra et les capteurs des modèles les plus récents d’iPhone et d’iPad pour placer des images produites numériquement tout autour de vous. Vous pouvez ensuite visualiser le tout directement sur l’écran de votre appareil.

La Chenille qui fait des trous vous suit partout.

Lancez l’app, pointez la caméra sur une surface plate et bien éclairée et voilà, la fameuse chenille apparaît, ainsi que quelques pommiers ! Touchez maintenant votre écran : en secouant les arbres vous en ferez tomber les fruits et offrirez un festin à la chenille. Nourrie et reposée, elle se transformera bientôt en papillon prêt à s’envoler vers votre plafond ! Et il s’agit là d’une prouesse technique impressionnante dans la mesure où la plupart des apps en AR s’en tiennent pour le moment seulement à un plan horizontal.

Une illustration de « L’artiste qui a peint un cheval bleu » (2011).

Au cours des 50 dernières années, Eric a écrit et illustré plus de 70 ouvrages qui se sont vendus à près de 140 millions de copies. Dans son premier livre pour enfants, Ours brun, dis-moi (1967), il a commencé par superposer des collages colorés sur de simples fonds blancs. Un changement radical par rapport au style de l’époque. Aujourd’hui encore, il continue de réaliser ces mêmes collages, en peignant du papier dans lequel il découpe des formes, qu’il superpose ensuite entre elles.

Les mains du maître, photographiées au Eric Carle Museum of Picture Book Art à Amherst, dans le Massachusetts.

Au cours de sa carrière bien remplie, Eric n’a cessé d’être précurseur. Quand La Chenille qui fait des trous a été publié en 1969, l’ouvrage a été parmi les premiers à présenter des trous découpés : « À l’époque, aucun imprimeur aux États-Unis n’était capable de produire le livre à cause des trous et de toutes les nuances de vert et de rouge. Nous avons finalement dû nous tourner vers le Japon » ajoute-t-il.

Pour L’Araignée qui ne perd pas son temps (1984), il a utilisé une encre acrylique brillante afin de rendre le satin d’une toile d’araignée. Dans Le Grillon qui n’a pas de chanson (1990), des piles bouton alimentaient un haut-parleur qui jouait une mélodie et dans La Luciole très seule (1995), ce sont des lumières scintillantes qui étaient incrustées au fil des pages.

L’auteur et ses parents en Allemagne en 1939.

Quant à sa passion pour l’expérimentation, Eric l’attribue aux artistes qui l’ont inspiré quand il était enfant. Il se souvient qu’à l’école élémentaire, son professeur d’arts plastiques, qui avait remarqué son talent, lui a fait découvrir en secret des artistes alors bannis en Allemagne nazie : « Franz Marc, Picasso, Paul Klee, Fernand Léger, beaucoup d’artistes modernes de l’époque comme les surréalistes, les expressionnistes, les impressionnistes. »

Il explique qu’en embrassant de nouveaux supports, ces artistes défiaient leurs pairs mais se lançaient également un défi à eux-mêmes. Ceci explique que tout au long de sa carrière, Eric a réalisé des peintures ou des sculptures mais aussi des projets mixed media (sur divers supports), dont beaucoup n’ont d’ailleurs jamais été publiés.

Eric et ses tableaux abstraits, exposés au musée qui porte son nom.

« Vous parlez d’innovation, mais de mon point de vue, j’aime tout simplement créer et raconter des histoires de toutes les façons possibles, que ce soit au moyen de la peinture, du dessin, de la sculpture ou du découpage » dit-il. « L’idée de la chenille m’est venue après avoir joué avec un truc comme ça » ajoute-t-il alors qu’il agite une perforatrice.

« J’ai vraiment passé beaucoup de temps à expérimenter, mais lorsque vous avez une idée en tête, c’est toujours amusant de voir jusqu’où elle peut vous mener. »